Brian Martinez :
« Je veux raconter des histoires toute ma vie »

Plus jeune, il se sent invisible. C’est dans son coup de crayon qu’il se découvre lui-même. Aujourd’hui, il enfonce les portes de l’art graphique en puisant sa force dans un esprit libre, ouvert sur le monde.
« Je veux raconter des histoires toute ma vie, j’ai le feu. Et ça, j’ai trop peur de le perdre. » Brian Martinez est passionné. La flamme au bout du crayon, la passion dans les mots : « J’ai envie de faire du ciné, de la musique. Le rêve ultime : directeur artistique à la Miyazaki. » À 22 ans, Brian est dessinateur et illustrateur. Né à Paris, il grandit à Perpignan, et fait sa mise à niveau artistique (Mana) à l’Esma à Montpellier. « J’étais profilé pour faire de la 3D et de l’animation mais c’était hyper matheux. J’imaginais ça plus créatif. Ce qui me plaisait c’était la pré-prod, la création d’univers. » Brian est plutôt hors-piste que sentiers battus. L’esprit libre, il gagne sa vie avec des contrats temporaires. «J’arrive à en vivre si je me bouge le cul. Si je veux bosser et que je veux de l’argent, j’ai l’impression que je peux le faire. Là, je flex ! J’ai pas énormément parce que j’économise peu. Je dis « Bravo » quand je vois mes potes acheter leur appartement à crédit. Moi je fais des voyages. » Six mois de travail pour six mois à parcourir le monde, il vibre comme ça.

Le trait de l’artiste dès l’enfance

Il commence à dessiner petit, au moment où « je n’étais plus invisible grâce à l’art ». « L’art en soi, c’est très égocentrique, tu commences par égo. » Dans la cour de l’école il est le « pote dessineux ». Le monde autour de lui commence à remarquer son trait de crayon. « C’était à un repas de famille, je devais avoir 7 piges, j’avais pris de feuilles A4 et je dessinais une ville que je faisais grandir, grandir, grandir, et à la fin, je scotchais douze feuilles entre elles et ça donnait une ville immense avec tous les super héros que je kiffais, Marvel et cie.
Mes parents étaient fiers de montrer ce que je faisais à leurs potes. Là, j’ai su que c’était mon truc. » D’une personnalité plutôt introvertie, Brian se sent exister par le dessin. « J’étais pas trop dans la sociabilité. Le dessin c’est le truc qui m’a donné le plus confiance en moi. J’avais l’impression d’être légitime à parler, simplement. Quand on parlait d’art avec les potes, on m’écoutait plus quand je m’exprimais. »

« Je me pose beaucoup la question de ma légitimité, est-ce que je mérite d’être dessinateur »

Au-delà de la production, des compliments de son entourage, des milliers de followers sur sa page Instagram (@nui.vagab), le milieu de l’art le plonge facilement dans la solitude et la crise existentielle. « Quand tout le monde autour de moi me dit que je suis talentueux, me balancent des trucs super gentils, j’ai du mal à prendre. Je me pose beaucoup la question de ma légitimité, est-ce que je mérite d’être dessinateur. » Manquer d’humilité et prendre la grosse tête « terrorise » Brian qui préfère se sous-estimer que se prendre trop au sérieux. Issu d’un milieu très éloigné de l’art, d’une mère secrétaire et d’un père travaillant sur les marchés puis dans les bureaux de la DDE (direction départementale de l’équipement des autoroutes), il passe ses diplômes « pour leur faire plaisir » et pour gagner leur soutien. « Mes parents n’étaient pas riches ni rien. Quand t’es dans le milieu de l’art, tu sais à quel point les diplômes ne sont pas importants. Les gens t’embauchent pour la valeur de ton book. Mais pour eux, le diplôme était super important. Ils me disaient : « Tu fais ce que tu veux Brian, mais il faut que tu valides des choses ». » Ils ne comprenaient pas que je sois mon propre patron. Quand j’ai eu des moments de doute, ils me disaient avec beaucoup de bienveillance « tu peux faire autre chose tu sais… », alors que j’aurais aimé qu’ils disent juste « non, t’arrêtes pas, c’est ce que t’aime, c’est ça qu’il te faut ». Mais tu peux pas en vouloir à tes parents de vouloir la sécurité de leur gosse. »

Du traditionnel au numérique

Pour ce qui est de la technique, Brian n’abandonne pas le traditionnel mais s’épanouit dans le numérique, notamment pour voyager. « À la base, j’étais beaucoup dans le tradi – dessin à la plume, au stylo – mais pour bouger, je suis passé à la tablette. » Selon lui, le matériel ne fait pas l’artiste mais la qualité vient rarement sans un bon équipement. « Quand Orelsan balance qu’il suffit juste d’un truc qui filme, je suis pas forcément d’accord avec une punchline comme ça. C’est vrai qu’aujourd’hui tu peux faire des belles images avec un téléphone, mais quand tu veux faire un beau film, si ton son pèche par exemple, c’est horrible. Après, si t’as envie d’être idéaliste, tu dis qu’avec du papier et un crayon tu peux bombarder. Personnellement quand j’ai une tablette et Photoshop, j’ai encore plus une sensation de traditionnel. Le geste est plus fluide, tu vois ce que tu fais, t’es en communion avec ton dessin. » Mais pour les débuts : « Toujours commencer tradi. Mais si tu vois que t’as le feu, que le truc te prends, investis plus gros. » Pour lui, la production d’un artiste provient de ce qui l’inspire : « Plus ça va plus t’as des influences cachées et les gens les voient moins. Mais en soi un artiste, c’est pas quelqu’un qui crée quelque chose qui sort de nulle part. Pour moi, tu vois pas toutes ses influences, et du coup tu dis « Ouah c’est nouveau ! », alors qu’en fait, c’est un condensé de tout ce qu’il aime. Et justement quand t’arrive pas à voir les réfs [références] du mec, ça veut dire que c’est ouf. » Au départ, les influences de Brian c’était Naruto, Death Note, Akira. « C’est les plus grosses influences que j’ai pu avoir avec les films d’animation Miyazaki. Tu prends l’influence aux gens par petits bouts. Ce que je trouve trop beau chez cet artiste, c’est qu’il arrive à te dire des trucs dramatiques et en même temps, tu crois en l’humanité. Son trait que j’adore, les yeux trop intenses, le côté underground que t’arrive à moderniser donc c’est tout un mélange. Après, tu veux apprendre à dessiner : c’est de l’observation, ensuite la « créa ». Récemment j’ai ouvert le livre – le pavé – de Richard Williams, le créateur de l’animation, qui est hyper cool : The Animator’s survival kit. » Ne pas lâcher oui, mais il faut aussi trouver la force.
Se tourner vers tous les styles, c’est aussi se forcer à écouter autre chose et regarder ailleurs, aller là où on n’a pas l’habitude d’aller. Et selon lui, « les musiques les plus folles sur terre sont faites par des gens qui ont une culture générale hyper grande ». La production artistique est une introspection. « Je vais utiliser le mot artiste, même si c’est très galvaudé. Pour moi, tous les artistes parlent d’eux dans leur art. C’est un exutoire. » Selon Brian, ce côté-là est sauvé quand l’artiste met un message positif, « humaniste et altruiste » dans sa création : « Ça devient plus intelligent, tu te sers de tes problèmes à toi pour faire quelque chose de bon pour l’humanité. » Tout en évoquant le « poison » de ceux qui partagent leur tristesse au monde entier, avec une musique par exemple, et l’impact qu’elle peut avoir sur l’état d’esprit.
« Des Steve Jobs, t’en a un million qui se rêche pour un qui réussit. C’est le biais du survivant. »
Déjà bien en place dans le milieu de l’illustration, il bannit l’idée d’une zone de confort. La prise de risque est perpétuelle. « Dans l’art, il y a ce truc du sacrifice. Le fait que ce soit ta vie te rend fragile. Je suis pas confortable. Peut-être que demain mon style ne plaît à personne. » Il ne croit pas non plus au mérite par le travail. « Certains disent : « Ouais, t’as travaillé comme un acharné donc t’en es là », mais non. Des Steve Jobs t’en a un million qui se rêche pour un qui réussit. C’est le biais du survivant. » Sous l’ombre du « on sait jamais », Brian garde sa flamme et avance malgré les obstacles, porté par la passion.
Mes parents étaient fiers de montrer ce que je faisais à leurs potes. Là, j’ai su que c’était mon truc. » D’une personnalité plutôt introvertie, Brian se sent exister par le dessin. « J’étais pas trop dans la sociabilité. Le dessin c’est le truc qui m’a donné le plus confiance en moi. J’avais l’impression d’être légitime à parler, simplement. Quand on parlait d’art avec les potes, on m’écoutait plus quand je m’exprimais. »

« Je me pose beaucoup la question de ma légitimité, est-ce que je mérite d’être dessinateur »

Au-delà de la production, des compliments de son entourage, des milliers de followers sur sa page Instagram (@nui.vagab), le milieu de l’art le plonge facilement dans la solitude et la crise existentielle. « Quand tout le monde autour de moi me dit que je suis talentueux, me balancent des trucs super gentils, j’ai du mal à prendre. Je me pose beaucoup la question de ma légitimité, est-ce que je mérite d’être dessinateur. » Manquer d’humilité et prendre la grosse tête « terrorise » Brian qui préfère se sous-estimer que se prendre trop au sérieux. Issu d’un milieu très éloigné de l’art, d’une mère secrétaire et d’un père travaillant sur les marchés puis dans les bureaux de la DDE (direction départementale de l’équipement des autoroutes), il passe ses diplômes « pour leur faire plaisir » et pour gagner leur soutien. « Mes parents n’étaient pas riches ni rien. Quand t’es dans le milieu de l’art, tu sais à quel point les diplômes ne sont pas importants. Les gens t’embauchent pour la valeur de ton book. Mais pour eux, le diplôme était super important. Ils me disaient : « Tu fais ce que tu veux Brian, mais il faut que tu valides des choses ». » Ils ne comprenaient pas que je sois mon propre patron. Quand j’ai eu des moments de doute, ils me disaient avec beaucoup de bienveillance « tu peux faire autre chose tu sais… », alors que j’aurais aimé qu’ils disent juste « non, t’arrêtes pas, c’est ce que t’aime, c’est ça qu’il te faut ». Mais tu peux pas en vouloir à tes parents de vouloir la sécurité de leur gosse. »

« J’ai maté des interviews d’artistes qui parlent d’eux. Quand je les écoute, ils me donnent la foi de continuer. Pour percer, c’est pas le fait d’être bon ou pas, c’est d’être dans le temps. Plus tu dures, plus tu vas avoir une communauté solide, et plus tu vas avoir des gens qui te suivent. » Ce qu’il faut garder en tête : « Continues, lâches pas. C’est méga fragile. Tu peux arrêter de dessiner du jour au lendemain : le nombre de fois ou je me suis dit « je prend mon bagpack et je vais en Thaïlande faire mon petit jardin autosuffisant, et je retombe sur une vidéo d’un gars que j’adore, au final je dis « puis non en fait le dessin c’est trop bon ! »

Fou de musique, fou de dessin

Fou de musique, fou de dessin, il bosse avec les grands. Népal, « l’artiste que j’aime le plus au monde », lui fait une commande d’animation de 25 secondes pour le clip de Là-bas, qu’il réalise avec Nazu, Oyasumi et Goro Leba. « Le mec m’appelle, j’avais jamais fait d’animation de ma vie. Mais je dis « oui ! », parce qu’il faut juste dire oui, il y a pas d’autre réponse. J’ai raccroché, et là, il a fallu assumer jusqu’au bout. » Deux mois de nuit blanche. Ce travail l’amène à travailler avec la 75e Session, « Sheldon et toute la clique ». Contacté par Le Règlement, « c’est devenu une routine, on a bossé trois ou quatre fois ensemble ». Il fait de l’image pour Chris Corleone, puis pour Gringe. Question musique, il prône la diversité. « Y a pas de top 3. Pour moi, y a les gens qui aiment l’art qu’ils aiment. C’est très différent de ceux qui vont aimer la musique qu’ils aiment. » Pour Brian, écouter seulement du rap relève de peu d’ouverture d’esprit, la musique qu’on écoute sur le moment vient avec le « mood » : « J’aime écouter les musiques du mood dans lequel on est. Par exemple, si je suis en voiture avec mes potes, j’ai pas envie d’écouter un Damso sombre, alors que eux ils font que écouter Damso donc ils le passent quand même. Et là je me dis : on est en voiture, viens on met Hotel California de The Eagles, genre mets un truc qui est dans le mood de ce qu’on fait ! »
« Des Steve Jobs, t’en a un million qui se rêche pour un qui réussit. C’est le biais du survivant. »
Déjà bien en place dans le milieu de l’illustration, il bannit l’idée d’une zone de confort. La prise de risque est perpétuelle. « Dans l’art, il y a ce truc du sacrifice. Le fait que ce soit ta vie te rend fragile. Je suis pas confortable. Peut-être que demain mon style ne plaît à personne. » Il ne croit pas non plus au mérite par le travail. « Certains disent : « Ouais, t’as travaillé comme un acharné donc t’en es là », mais non. Des Steve Jobs t’en a un million qui se rêche pour un qui réussit. C’est le biais du survivant. » Sous l’ombre du « on sait jamais », Brian garde sa flamme et avance malgré les obstacles, porté par la passion.